Alvaro, le neveu orphelin d'Oliveira
Titre : Tintin au pays de l'or noir
L'auteur : Hergé
l'Editeur : Casterman
La date : 1969
La page/la case : p. 44 , cases 8/9
Le contexte :
"Quoi, un "Tintin" dans "1 case en moins" ? Facile ! déjà-vu !!..." Puis-je déjà entendre.
Et pourtant... oui pourtant, combien de blogs consacrent une note
entière à un seul album de Tintin et combien à cet album en particulier,
pas un des plus populaire de surcroit, à l'inverse d'autres titres comme Tintin en Amérique, L'île noire, le Temple du soleil, le Lotus bleu, le Crabe au pinces d'or, On a marché sur la lune...par exemple.
"Au pays de l'or noir", les amateurs le savent bien est un album qui s'est fait en deux temps a et a vécu une drôle d'aventure. Ce récit politique basé sur la guerre et la crise pétrolière n'est pas ce qu'on peut appeler un album jeunesse à proprement parler. Dans toute la bibliothèque tintinophile il fait en effet partie, à l'image de "Coke en stock" ou des "Picaros" de ces albums matures abordant des sujets délicats tels la politique internationale, les économies parallèles, les conflits armés, le racisme, la contrebande, l'esclavagisme, la torture, les exécutions...etc., ce qui le place dans une catégorie un peu "à part".
Commencé le 25 Septembre 1939, l'album venait après le Sceptre d'Ottokar et le capitaine Haddock n'existait pas encore. Interrompu dans le journal le Petit vingtième le 8 Mai 1940 (alors que les troupes allemandes entraient en Belgique), au moment de l'épisode où le docteur Müller se rase dans le désert, ce récit restera 4 années en suspens.
Le temps pour d'autres histoires de germer et de paraître durant ce laps, Hergé ayant été appelé aussi à d'autres responsabilités, diriger par exemple le tout nouveau journal dédié à son héros. C'est donc dans le journal Tintin que l'histoire reprend, ré-adaptée, puisqu'entre temps sont apparus de nouveaux personnages dont le capitaine Haddock. Ce qui explique sont apparition introductive éclaire en début de récit, pour annoncer son engagement militaire, validant son absence de l'album, mais aussi son incapacité en fin d'album à dire ce qu'il a vécu . (...)
On se reportera utilement aux articles de Benoit Peeters , (par exemple dans le volume 7 de "l'intégrale Hergé" des éditions Rombaldi, 1985, ou dans son "Monde d'Hergé", 2004 pour la dernière édition), ou à la page 68 de Hergé et Tintin reporters de Philippe Goddin, 1986) pour plus d'infos sur ces évènements et le tour de passe passe hergéen.
Ps du 31/10/09 : Comment ne pas citer aussi le n°266 du Figaro Magazine du 26 Juin 2004, et le dossier "Tintin : l'histoire secrète d'un album explosif". (voir commentaires pour les détails.)
La case qui nous intéresse se situe page 44, à un moment clé du récit, (parmi d'autres.) Néanmoins, celle-ci est particulièrement intéressante.
Tintin est en effet obligé de se grimer afin d'essayer de s'introduire dans la propriété du docteur Müller.
Déjà, ce déguisement (un des rares avec celui très réussi de l'"Affaire Tournesol") donne un cachet particulier à l'album.
Ensuite, notre héros est aidé par son vieil ami De Oliveira qu'il avait rencontré dans les "Cigares du pharaon".
De quelle manière ?
Et bien c'est là que la scène se joue et que la lecture est succulente :
De Oliveira présente Tintin aux gardes de la citadelle comme son pauvre petit neveu Alvaro et se met à leur raconter une tonne d'histoires à dormir debout, mettant en scène une pseudo biographie familiale dramatique allant crescendo.
Pendant ce temps Tintin/Alvaro s'éclipse (De Oliveira pris par son jeu et spécialiste dans le genre continuant à captiver son auditoire).
C'est un must qui se déroule ici en très peu de cases finalement , mais lorsqu'on y repense : quel talent !
En même temps qu'un suspens bien dosé (notre héros va t-il arriver à échapper aux gardes, à lancer son grappin sur la terrasse entre-ouverte ?), l'auteur nous offre un joyaux d'humour et de parodie en se servant d'un des trait de caractère supposé des marchands portugais, (Une case revient d'ailleurs sur Oliveira et le groupe toujours cloué à ses lèvres, certains étant même arrivés aux larmes : jouissif ), et l'attrait de la plupart des gens pour les histoires dramatiques fussent-elles complètement inventées... tout en continuant à doser et à augmenter son suspens en y rajoutant le détail de l'éternuement mystérieux et généralisé qui risque de faire repérer Tintin.
... On est en plein mixe de film noir et de gag !
... Si l'on ajoute à tout cela le décor superbe d'une citadelle perchée sur un promontoire dominant le golfe persique (à moins que ce ne soit un lac ?, suggéré sur une image lors de la descente de Oliveira de la citadelle), et celui de jardins et de souterrains mystérieux... on obtient là l'une des plus belles scènes de bande dessinée classique, ... qu'il eut été dommage avouez-le de ne pas (re)metttre en exergue.
Toutes les images : © Moulinsart SA/Casterman/Hergé