Berlin : faut-il des lunettes pour voir le chaos ?
Titre : Berlin, la cité des pierres
L'auteur : Jason Lutes
l'Editeur : Delcourt, collection Outsider
La date : 2009
La page/la case : p. 140 , cases 1-2
Le contexte :
Un bouquin offert cet été pour mon anniversaire par des amis attentionnés. J'avais déjà eu l'occasion de feuilleter ce roman graphique en médiathèque il y a quelques années, puisqu'une première traduction française avait été proposée par le Seuil en 2002 (déjà?), mais sa lecture complète m'a permis de découvrir un récit de tout premier ordre, aux qualités indéniables, tant sur le fond que la forme.
Édition Delcourt tome 1
Jason Lutes est né en 1967* et cet auteur américain
immigré assez jeune en France a eu une éducation culturelle qui lui a
permis de dégager un style d'écriture (et de dessin) proches de la ligne
claire européenne, même si la plupart des articles faisant mention de
cette particularité reprennent un peu trop facilement à mon goût le
discours de l 'intéressé lui-même, dont le désir aurait été d'être publié
à l'origine en France.
Car même s'il est vrai que son récit
traitant de la monté du national socialisme (nazisme) à Berlin en 1929
se déroule en Europe, et se situe assez loin des préoccupations
américaines habituelles que l'on peut lire dans des comics plus courant, de style graphic novel ou autre, où l'autobiographie (Graig Thompson), le témoignage ou road movie
(Jessica Abel), les histoires d'adolescents shootés (Charles Burns), ou
des récits poético-fantastiques (Jim Woodring, Tony Millionaire, ...)
sont plus connus, on est je pense encore assez loin de la vrai ligne
claire franco-belge dont le trait rond, anguleux et bien noir sert plutôt habituellement des
récits dits "classiques" du genre
polar ou aventures publiés historiquement par les grandes maisons d'éditon Dupuis, Casterman ou Dargaud..
Dire simplement que Lutes fait de la ligne claire est donc l'arbre qui cache la forêt (voir une contre-vérité) à mon sens.
Ci à droite : couverture première édition française (Le Seuil)
Il
n'en demeure pas mois que son Berlin, dont le tome deux a paru en Octobre reste un roman graphique de haut niveau, culturellement et
historiquement très riche.
De nombreux thèmes sociaux et culturels
sont abordés de manière réaliste et tendre : La culture, avec le suivi d'une
bande d'amis fréquentant les Beaux arts, ou les salles de spectacles; la pauvreté (le froid, les
immeubles insalubres...); la politique (communisme et solidarité,
national socialisme, manifestations, haine, violence, vie des petites gens...); la religion (belles scènes de Noël juif); les
relations amoureuses, souvent difficiles, dans et hors mariage, hétéro
et homosexuelles....
Lutes a aussi l'intelligence d'user de techniques efficaces de narration (cf. par exemple la case en moins de cette note, basée sur la malvoyance de Kurt Sévering, l'ami journaliste de Marthe, alors que celle-ci tente de portraiturer son ami sans ses lunettes). Astuce graphique qui rentre dans les délices auxquels un Scott Mc Cloud nous a appris à faire attention lors de la lecture (et la conception) d'une bande dessinée.
Case 4 de la page 140
Il y a multitude d'autres exemples qui parsèment cet excellent roman graphique qu'il serait trop long à citer : La neige sur la ville et les perspectives qui changent, la mort de Gudrun Braun et son dernier rêve perdu, les musiques ou les paroles de la radio qui transitent dans l'air froid par dessus les dialogues des personnages, les attitudes et les pensées des personnages eux-mêmes, hyper-réalistes... Tout cela participe à faire de Berlin un ouvrage incontournable.
On reprochera cependant une maquette qui,
ayant privilégié le format roman, (même s'il est d'assez grande taille) nous donne à lire des bulles ou pavés
de texte aux polices de caractère taille 9 voire 8, ce qui rend le
texte souvent illisible pour des yeux normaux.
Dommage pour un livre exigeant qui pourrait intéresser un plus large public, portant des lunettes par exemple.
Je
n'ai pas encore lu de notes traitant de ce souci précis, mais s'il
fallait jeter une pierre dans ce mur... ça serait celle-là.
Note : 8/10
néanmoins.
* La biographie de l'auteur chez son éditeur Drawn & quarterly