Sous entendu : "Que suis-je en train de lire ?"
Réflexions soulevées à partir du manga : Undercurrent
de Tetsuya Toyoda, publié chez Made in (Dargaud) 2008
> ci à droite : extrait p. 160
...Où la lecture de ce manga me fait me demander ce qui fait l'appartenance
de ce récit au style manga et comment amener à la lecture d'un livre
aussi subtile et intéressant des personnes ne lisant pas de bande
dessinée et encore moins de BD japonaises.
Je ne saurais trop quoi rajouter à la bonne chronique de Baptiste Gilleron
sur ActuaBD, aussi je vous soumets le lien pour en connaître le résumé
et les grandes lignes.
Chronique d'Undercurrent sur ActuaBD
Des « sentiments » propres à l'Asie ?
Ceci dit, cette tranche de vie sociale faisant état d'un couple séparé
par le destin et les interrogations d'une jeune femme au quotidien amène
quelques réflexions sur la propension qu'ont les japonais à pouvoir
raconter aussi facilement des histoires sociales (des histoires tout
court ?), dans des genres très variés et arriver à nous intéresser au
plus haut point. Car en dehors du lieu, de quelques modes traditionnels
parsemés ci et là, et de l'architecture des rues, des maisons de
l'histoire, ce récit pourrait arriver sans doute à un occidental !?
C'est en tous cas ce que l'on aurait tendance à croire, alors que le
fort de ce genre de manga est justement de diffuser de manière quasi
imperceptible des « odeurs » des « sentiments » propres à l'Asie.
Tout comme ces films japonais ou coréens qui nous enchantent de leur
poésie tranquille.
Tout comme la BD franco belge nous a habitué à des récits d'aventures
(cette appellation « Franco-belge » a t-elle d'ailleurs encore un sens
en 2010 ? car les plus jeunes lecteurs séparent dorénavant très
clairement en trois grands familles le média :
- « Bande dessinée (classique et format franco-belge),
- « Mangas »
et « Comics », rappelons que cette première a cependant
subit une évolution/transformation significative depuis les années 70. Mais force est de constater
qu'elle reste encore pour beaucoup d'adultes attachée à l'âge d'or des
années 40/50, avec des séries très familiales d'aventures historiques,
héroïques, de western, de policier... lorsqu'il ne s'agit pas de BD
érotiques, ou d'humour (assez lourd ou « gaulois » d'ailleurs parfois).
On pourra à ce sujet se demander alors :
Où se situent les « romans graphiques » européens dans cette catégorisation quelque peu fermée ?
La vrai question serait plutôt : le grand public les connait-il ?, les lit-il ?, s'y intéresse t-il ?
Toujours est-il qu'on peut pointer précisément l'apanage du manga à
proposer en nombre et de manière régulière des récits cohérents et de
longue haleine, (parfois même très intelligents) sans tomber dans
l'autobiographie à tendance dépressive ou nostalgique, apanage plutôt
occidental.
Sans doute les japonais savent-ils d'avantage raconter simplement
qu'illustrer, bien que le trait de la plupart des mangakas soient tout à
fait précis, mais il est évident que la bande dessinée européenne
cherche d'avantage à interpeller le lecteur par le biais d'un beau
dessin , avec une histoire au passage si possible intéressante, que
l'inverse, même si bien sûr, il faut se méfier des généralités, sur les
trois continents. D'autant plus que l'on sait que les mangas sont
produits pour tous les genres de public, et sont donc très
compartimentés par lectorats : jeunes, âgés, homme, femme, récits
sérieux, adultes, de collège, de sport, de SF, érotiques...etc.
Il faut cependant reconnaître que dans la production titanesque d'albums
que connait le milieu depuis la fin des années 90, rares sont les
titres en Europe (et en France surtout) qui brillent à la fois par leur
teneur scénaristique et leur dessin.
On constatera d'ailleurs que là où le japonais travaillent la plupart du
temps seuls (en solo: scénario/dessin), la tendance européenne est
plutôt dans le format "album classique", au binôme
scénariste/dessinateur, comme si il fallait laisser une marge à ce
dernier pour effectuer son travail « d'enluminure" sans se soucier de
l'histoire... Tradition toute française ?
(Additif de Mai 2010 : l'échange de commentaires me permet de largement relativiser ce propos, puisqu' évidemment, il est bien connu que les auteurs japonais travaillent souvent en studio, donc pas seul. Néanmoins, cela est-il le cas de tous ces auteurs ? De plus, si les pages peuvent être dessinées à plusieurs mains, il n'en reste pas moins que l'auteur reste à l'origine du scénario et du style graphique de base)
Un beau dessin, avant tout ?
Evidemment, il y a des exceptions, et quelques grands noms sortent du
lot depuis déjà quelques années en ce qui concerne ce qu'on appellera,
faute de mieux et pour les différencier : des "Romans graphiques", mais
si ces ouvrages proposent des thèmes assez variés, et des scénarios
assez élaborés , audacieux, philosophiques et parfois introspectifs,
notons que dans ces albums réalisés la plupart du temps en solo, le
dessin reste quand même en majorité un élément primordial. (On pourra
citer par exemple parmi les auteurs "installés" français : Larcenet,
Chabouté, David B, qui bien que proposant des albums de qualités
scénaristiques indéniables, jouent néanmoins aussi sur l'aspect
graphique du média., un peu à l'inverse de la tradition japonaise.
Mais ceci est sans doute moins vrai pour de jeunes auteurs, au style
graphique moins »marqué » (personnel), mais publieront-ils assez
d'ouvrages et seront-ils assez distribués pour retenir l'attention ?
Si on voulait grossir le trait à outrance, et en sortant du simple
aspect « traditions culturelles », (et ce malgré les rapprochements et
influences croisées entre occident et Asie depuis de nombreuses années),
on pourrait alors se demander :
Le beau dessin nuit-il donc à une bonne histoire en « bande dessinée » ?
(c'est à dire qu'un beau dessin sur une histoire un peu complexe
détournera peut-être l'intérêt de certains lecteurs « classiques)
et... le manga est-il plus proche du Roman que de la Bande dessinée
telle que le grand public (pense) la connaitre ?
Lorsqu'on entend certains dire qu'un auteur comme Bilal devient trop
"intello", on peut en effet se le demander, alors que justement son
dernier album est une réussite de narration. Car beaucoup n'aimeraient
sans doute voir dans ses albums qu'une suite de beaux dessins. (...)
"Que suis-je en train de lire ?" :
...Une question sur la réalité de la diversité du média, que l'on
peut-être amené à se poser lorsqu'on lit une « bande
dessinée » (d')aujourd'hui, tel cet "Undercurrent" d'origine japonaise.
A lire :
Franconiaiseries-contre japoniaisereies (Du9.org, 1997)
"Un bon pavé en noir et blanc" (à propos des nouvelles bandes dessinées, article de Appollo, du9.org, Juillet 2000)
Un glossaire pointu de la Bande dessinée moderne, pour se familiariser,
un peu...